Huit jours à Bangui

Première Mission pour une ONG en tant que photographe et illustrateur.

Mon travail, illustrer nos journées sur le terrain.
Du mardi 23 au 30 septembre

Je suis au bord du lac Léman, à Nyon la tête reposée après avoir donné mon cours de photo. Amir m’appelle.
-Salut Léo, tout se passe bien? La République Centrafricaine, tu connais?
-Euh, oui, c’est au centre de l’Afrique non? C’est pas un peu la merde là bas?
-Oui complètement et mes clients me demandent si tu es disponible pour une mission de huit jours à Bangui pour faire un état des lieux, des photos et un petit carnet de route illustré avec tes dessins, intéressé?
-Je… euh… on part quand?

Notre départ est prévu le 21 septembre 2014, juste après mon retour de Vladivostok. J’ai rendez-vous à Genève pour faire un Visa d’entrée en Centrafrique. J’attends quelques heures dans un bureau ou l’ambiance africaine est déjà au rendez-vous. Le secrétaire fait mine de travailler, il tape sur son clavier pour dissimuler qu’il regarde des vidéos sur internet, je faisais pareil quand je bossais dans des bureaux. La dame censée faire mon visa me demande d’apporter des vêtements pour des amis à Bangui, j’accepte et repars des lieux avec mon autorisation d’entrée tamponnée dans le passeport et un sac de chaussures… ça commence bien.

Amir est coordinateur de la mission et travail pour Global Network for Rights and Developement. Youri, le journaliste et moi ne sommes pas vraiment au courant de ce qui nous attend mais l’idée de voyager de cette manière nous aveugle totalement. Dans la file d’attente du vol Air France Paris-Bangui-la-Coquette il y a des diplomates, des médecins, des humanitaires et trois-quatre Centrafricains… la première impression est que nous ne partons pas aux champignons.

Le mardi 23 septembre
C’est l’atterrissage qui me marquera à jamais. Quand l’avion touche le sol, je remarque des gamins qui jouent au foot entre les carcasses d’avions, sur le tarmac. De la fumée et des tentes de fortunes flanquée du logo UNHCR de tous les côtés. L’aéroport est un gigantesque camp de réfugiés musulmans.
Je tiens encore mon verre de vin rouge dans la main, j’en ai gouté trois différents, j’essaie de faire le lien avec la situation chaotique sous mes pieds. Amir et Youri et moi sommes dans un état entre la peur et l’excitation. Qu’est-ce qu’on va voir?

A la sortie de l’avion c’est d’abord le contrôle médical pointu sous un soleil qui nous crame les jambes sur la piste d’atterrissage. Il y a des véhicules blindés de l’armée française partout et des soldats en faction. Des barricades de protection et des barbelés. L’impression que nous arrivons sur le lieu de tournage d’un films post-apocalyptique tel que Children of Men (de Alfonso Cuarón) me vient immédiatement à l’esprit. Cela peu, certes, passer pour du voyeurisme mais j’en rêvais! J’en rêvais d’une situation comme ça ou ce qui se passe ne te concerne pas, ou la violence des événements est au delà de l’imaginable, du concevable. Je suis tellement dégouté par la capacité de l’Homme à être une merde que je veux voir…
… je vois. Nous récupérons nos bagages à la criée. Il y a des reporter de France 3 et un tas d’autres types de voyageurs que l’on ne voit jamais en temps normal. Diplomates, diamantaires, pervers de la finances, journalistes, personnalités politiques africaines, c’est très spécial, je me sens vraiment dans le cœur de l’action à peine arrivé.

Le gros 4×4 qui nous mène au Leigher Hôtel de Bangui traverse la triple sécurité de la zone aéroport que l’on pourrait appeler zone de mise en quarantaine. Là, c’est l’Afrique! Entre les véhicules de l’ONU, des milliers de gens dans la rue qui vendent de tout en nous regardant passer. La route de terre rouge et de la poussière, cette fois nous avons atterrit en Centrafrique. Je ne sais pas si il est moral de décrire l’hôtel. Il parait que c’est normal que nous logions ici, surprotégé dans un luxe excessif construit et financé par la Libye. J’avais pensé que nous logerions dans une ambassade. Le Leigher Hotel est un havre d’ultra confort ou à tout moment tu peux avoir un croissant, sans doute les meilleurs que je n’ai jamais mangé, à toutes heures de la journée. Une grande piscine et des jeunes filles payées qui se caressent comme dans les clips de rap pour le plus grand bonheur d’un businessman bien gras qui ne cache pas qu’il est là pour le vice. C’est un cliché qui pour finir nous fait rire, c’est même le seul qui nous donne envie de faire des blagues parce qu’il est énorme mais il nous rassure sur le fait que nous « on est pas là pour ça ». Non, nous venons rencontrer des ambassadeurs, capter des témoignages de populations de toutes les ethnies et religions. Le soir même, Youri attaque son article pendant qu’Amir confirme à notre direction à Genève que nous sommes bien arrivé. De mon côté, je sélectionne les 10 photos à envoyer par jour.

Le mercredi 24 septembre
Assez rapidement, nous devons démarcher pour prendre des rendez-vous. Je suis là pour faire des photos mais j’ai dit à Amir que j’avais eu lors d’un shooting pour un mariage, contacte avec le responsable presse de l’armée française en Centre-Afrique, un pur hasard. Amir me dit :  » tu ne peux pas l’appeler? » Sans réfléchir, j’ai dis oui en ne pensant pas que le numéro que je possédais allait émettre une tonalité.
-Allo? Mme …….
-Euh, bonjour, j’ai, j’avais rencontré M. ……. lors d’un mariage qui m’avait dit que je pouvais l’appeler si j’avais des questions concernant la Centrafrique. Il se trouve que j’y suis et patati patata…
– Oui, Il est en mission en Afghanistan mais je peux vous donner le numéro de l’armée Française à Paris.
Sous le stress de ce premier contact positif je compose directement le numéro à Paris :
-Bonjour, j’ai le contact de M. ….. et j’aimerais savoir si patati patata, la secrétaire me coupe.
– Oui Monsieur, c’est le Colonel ……. que vous devez contacter, je vous donne les coordonnées de la mission Sangaris à Bangui.

Dix minutes au par-avant, la journée n’était pas définie. On ne savait pas trop par ou commencer. Je regarde Amir et Youri après avoir appelé le Colonel …….. et leur dit :
-Les gras, on a rendez vous à 11h à la mission Sangaris!

Amir et Youri descendent du 4×4 pour aller se présenter au portillon. Je reste dans le véhicule. Je me retrouve à l’intérieur entouré de chars blindés. Je prend un maximum de photos puis ensuite, je demande si je le droit de le faire. En fait non, j’avais pas le droit…
Ces militaires ne nous expliquent pas grand chose d’autre que les faits. C’est une situation de chaos et nous en somme tous responsable, les humanitaires sont dans une impasse et le pays est extrêmement tendu. Nous vivons, aux dires des militaires, une période relativement calme. Heureusement.

En sortant de la mission Sangaris, nous sommes en face du camp de réfugiés de l’aéroport, pourquoi ne pas aller y faire un tour et tenter de rencontrer des gens de Médecin sans Frontière? Mauvaise idée. Avec l’énorme pick-up de l’ONG on se sent comme le pape de sortie sauf que là, c’est toute la misère du monde, la vraie, qui s’étale devant nos yeux. Les gens vivent à terre sous des sacs plastique qui font office de tentes. Des enfants courent après le véhicule en riant mais les adultes, surtout les femmes, nous dévisagent méchamment. Certains donnent l’impression de nous insulter, quelques hommes montre des armes ou font des gestes qui symbolisent, de mon point de vue, de mauvaises intentions. Surement la notre de mauvaise intention. Celle de venir voir ici, au plus bas de l’échelle, comment sont vivent ceux que l’on traite comme des sous-hommes. Quand nous arrivons au quartier général, les employés de Médecin sans Frontière nous prient de quitter les lieux. Le seul témoignage que nous en retirerons est celui de leur désespoir.

Il est vrai qu’après des journées aussi intenses, la piscine du Leigher Hotel et un bon jus de fruit nous revigore avant d’aller dormir. Je reconnais ne pas être très touché au fond, tout ça, dans huit jours, ce sera des photos et quelques dessins et je me réjouirais de repartir ailleurs, peut être aussi pour creuser un peu plus ma sensibilité. C’est difficile d’être touché par des malheurs qu’on ne vit pas. Je pense que les personnes qui se disent concernées font un peu de cinéma. Pour moi, seul les engagés tel que la Croix Rouge ou Médecins Sans Frontière sont crédibles et légitimes. Ils sauvent des vies sans distinction de race ou d’appartenance de toute sorte, parfois, en se mettant en grand danger.

Le jeudi 25 septembre
Les portraits d’enfants, la recette simple pour garantir de toucher nos chefs en Europe. Aujourd’hui, j’ai demandé à faire des photos aux bonnes heures pour la lumière, tourner quelques images de la ville pour accompagner nos interview puis j’ai aussi envie de m’offrir un habit traditionnel au PK5, le quartier musulman. J’arrive à faire comprendre assez facilement, avec quelques cliché, à mes collègues à quel point il important de tourner et photographier à certaines heures. Autour de la mosquée du quartier, ce sont les enfants eux mêmes qui jouent avec mon objectif, je ne fais rien. Les gens sont calmes malgré la distribution de denrée à la population par l’ambassade de la Libye.

Le vendredi 26 septembre ( un peu de détente quoi)
C’est drôle, nous sommes en Centrafrique. Il y a quelque jours, des hommes s’entretuaient ici au centre-ville à cet endroit ou nous mangeons un kebab chez des Libanais. Nous passons aussi au super marché ou tout est hors de prix, personne ne peut rien acheter ici sauf les expatriés et les diplomates. C’est assez amusant d’avoir une routine dans un pays pareil, on cherche ou manger comme on le ferait en Suisse quand on reçoit des bon potes. On nous conseil un restaurant plutôt qu’un autre et une table à l’abri des courant d’air pour moi qui arrive toujours à chopper froid par 34 degrés la nuit. On peut boire des bières locales super agréables mais quand nous rencontrons Xavier, un mec de chez total, on passe au vin rouge. C’est là que j’ai de la peine à saisir ou je suis. il y a une Italienne assez belle à la table d’en face, des gens dans la rue, l’ambiance est festive, j’ai l’impression d’être en vacances. Le parking est simplement plein de véhicules officiels et militaires, nous sommes dans les quartiers chics peut être. En tous cas c’est sympa et personne ne nous harcèle pour de l’argent. Le soir, dans un bar, l’ambiance est au reggae, j’ai même l’impression qu’en sortant je vais me retrouver à Genève, la tête un peu engourdie par la musique trop forte.
Le couvre-feu nous oblige à rentrer avant vingt-trois heure et c’est Xavier, le camerounais de chez Total qui nous ramène à l’hôtel.

Le samedi 27
Université de Bangui, nous n’avons pas pris rendez vous mais quand on passe devant ce bâtiment qui semble avoir brûlé, nous sautons de la voiture pour aller voir. Mes premiers pas me donnent l’impression que c’est abandonné et que c’est là que je vais trouver des scènes ultras glauques qui me feront « les photos de ma vie ». Rien en sera. Un homme nous crie dessus d’une fenêtre en nous disant que nous n’avons rien à faire ici. C’est une zone d’études et nous pourrions avoir le respect de demander une autorisation pour un laisser-passé. Oui, nous avons été un peu con et l’engueulade est justifiée. Deux minutes d’arrangements entre le chauffeurs, un diplomate et le directeur de l’établissement nous permettront des interviews en nombre, une visite et une bouffe à l’uni avec des gens super sympa et plutôt prometteurs dans leur vision d’avenir du pays.

Nous rentrons relativement tard à l’hôtel. Amir et Youri ont envie d’aller voir la discothèque. Moi je pense que c’est une mauvaise idée car on y trouvera tous les vieux dégueulasses de la piscine et des filles à qui il faut payer des verre… on nous a bien dit de ne pas déconner, surtout en Afrique. Les mecs sont les mecs, ils insistent, je me sens obligé de suivre et ne prend même pas un verre. Les premières secondes ou nous sommes accoudés à une table, trois filles nous accostent, je m’imagine dans un mauvais film en train de dilapider mon frics comme un imbécile, je quitte la table. J’ai qu’un seul plan, retrouver mon oreiller pour éviter de savoir ce que mes deux acolytes feront de la situation, le lendemain je tirerais la gueule un bon moment.

Dimanche 28
Le vrai problème sur ces missions, ce sont les gens mal intentionnés. Nous voyageons avec Zubir, un type qui est là depuis le début du voyage et dont on ne comprend pas la présence. C’est lorsque nous nous rendons à l’extérieur de la ville que nous choisissons de prendre le plus de risque. Nous allons dans une zone chrétienne alors il nous faut afficher aucun signe religieux… sauf que, Zubir tient à nous accompagner. Le chauffeur n’est pas trop favorable. Nous ne comprenons pas tout de suite pourquoi.
Zubir est musulman et cet imbécile ne trouve pas mieux à faire que d’afficher avec ces doigts des symboles islamiques. Très vite, je vois dissimulées, les machettes sous tous les bras des jeunes gens du petit village dans lequel nous marchons. En plus, des cadavres de buffles brûlent ce qui vient rajouter une couche à la lourdeur de l’ambiance. Une vendeuse de banane nous prie de partir, « danger ici ». Et Zubir, avec un petit rictus et gardant ses doigts dans une drôle de position nous dit quelque chose du genre :  » vous voyez, c’est dangereux ici ». J’ai envie de lui mettre une claque à ce vieux con. Avec Amir et Youri nous n’arrêtons plus de plaisanter à son sujet mais nous lui ferons plus jamais confiance. Nous prévenons les personnes qui nous l’on imposé que la journée s’est mal passée… Le lendemain il reviendra comme si de rien n’était.

Lundi 29
Ce matin nous visitons un hôpital… enfin un lieu insalubre de stockage de gens si je puis dire. Les médecins y sont désespérés comme au camps de l’aéroport. « Si on soigne quelqu’un pour quelque chose, il attrape une autre saloperie due au manque d’hygiène ». Nous sommes obligé de porté des masques mais je me sens ridicule. Je pense qu’avec tous les vaccins qu’on m’a imposé, je dois être immunisé contre tout.
L’après midi nous entamons les préparatifs de retour, je m’offre une fourre en imitation de passeport centrafricain qui fait fureur au terminal bagage de Bangui, tout le monde se marre. Une fois que les formalités sont faites, nous pouvons aller nous balader en ville et profiter de nos dernières heures à Bangui la Coquette alors je m’assied au centre ville au pied d’un statue en or de Bokassa au milieu du trafic. Il y a un gamin à côté de moi, il ne me regarde pas, je ne suis personne, il bricole ses godasses. Je vois deux types qui réparent un taxi, la vie se déroule au même niveau que mon cul, les gens vivent par terre sur un des sol les plus riche au monde, j’ai de la peine à comprendre. Demain, les conflits reprendront alors que nous serons de retour par le Cameroun sur l’Europe. Les vols Air France de Paris pour Bangui ont été annulé le jour même. Nous avons vécu huit jours de cessé-le-feu exceptionnels qui nous on permis de travailler sans vivre d’horreur.

« En restant une semaine on a l’impression de tout comprendre et de pouvoir aider. En un mois on comprend que ce sera difficile. En six mois on rentre déprimé, dégouté par l’impossibilité d’agir. » Yves Daccord, Président Directeur Général de la Croix Rouge lorsque je l’ai questionné sur la Centrafrique deux jours après notre retour.

Léonard Fisch.
Janvier 2018