Iran

07 février 2013

Deux heures d’attente à l’aéroport pour faire tamponner nos visas parce que cinquante chinois malpolis nous passent devant. Au moment de passer la douane, les flics oublient ton visage entre l’instant ou leurs yeux te scrutent et passent à ta photo de passeport… ça fait du bien de voir une gueule reposée, Hossein, notre contact en Iran.
Il n’a pas l’air fâché d’avoir attendu si longtemps dans le parking. Je repère très vite la carrosserie pliée de sa Renault Tondar, un modèle local de Dacia, et ça me fait rire. La longue route de nuit jusqu’au centre de Téhéran est une entrée en matière magistrale. Les affiches de la taille d’un immeuble représentant les guides spirituels du pays Khomeini et Khamenei, les murs peints de portraits de martyrs sur des tours toutes plus moches les unes que les autres vu d’une autoroute à 8 pistes et 3 niveaux de ponts, c’est dingue. c’est un décor de film de science fiction en terre cuite car tout, même de nuit, parait poussiéreux. Une heure et demie de route pour enfin se garer dans une rue sympa avec des arbres bordée d’un petit canal, l’égout.

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Nous entrons dans un immeuble, la porte s’ouvre sur une grande pièce couverte de tapis à t’en faire pâlir Aladin. Les ampoules biscornues éclairent ce salon flanqué de ses trois fauteuils comme une cuisine de fastfood mais nous nous posons par terre autour d’une nappe en plastique. Hossein nous accueille chez lui avec des œufs brouillés, du riz et le thé. Il est deux heures du matin, mes deux amis partent en discussions philosophiquopolitique avec notre hôte pour me laisser à mes pensées. Ce matin j’étais à Genève et balançais mes affaires dans un sac de voyage comme un voleur dans une salle de coffre, l’avion partait trop tôt.
Nous dormons sur des couches de tapis, Hossein au sol. Il n’y a pas de lit dans l’appartement mais cela n’empêche pas la fatigue de nous écraser dans la poussière de la moquette pour douze bonnes heures.

 

08 février 2013

Quelques balades en voiture dans des rues sans trottoir et d’anciens quartiers les premiers jours, une bouffe avec les amis d’Hossein et leur femmes puis nous étions acclimatés. Je découvre que les iraniens aiment causer et manger, incroyable, ça n’arrête jamais même après le couvre feu quand la police éteint la lumière à minuit dans tous les lieux de sortie.

 

10 février 2013

Ce matin nous sommes catapultés de nos tapis de sol rigides à la bagnole sans comprendre ce qu’il se passe. Hossein nous mène à 140 kilomètres heures au centre ville maitrisant les queues de poisson. J’ai été chauffeur de taxi en Malaisie nous dit-il. La voiture est garée en triple file, nous marchons maintenant en direction de la place Azadi. Tout Téhéran est dans la rue, tout l’Iran en fait, dans chaque ville du pays ils fêtent les 25 ans de la révolution islamique, le reversement du Shah en 1979. Julian et Davide, mes deux compagnons, sont tout excités, moi, je photographie sans me poser de question. Nous avons la chance d’entendre l’actuel président Mahmoud Ahmadinejad dans un imposant discours, les hélicoptères survolant la scène avec des missiles en guise de décoration. Que dit-il ? Je demande. Des conneries me répond Hossein.
Il n’y a ni arbre ni fleur sur cette place. L’avenue  bondée de monde qui y mène est une autoroute en construction. Le monument est une imposante arche de béton au style communiste. Des photos, je continue à faire des photos. Il y a l’ambiance, la folie de la foule, les gens déguisés mais mon 200mm tombe amoureux de chaque jeune fille surtout celle avec le voile violet qui ne voile en fait pas grand chose. Elle laisse voler une mèche de cheveux noire en me jetant un sourire, évidement je n’ai pas la tête à me demander si je peux ou non shooter alors que deux agents du KGB local me scrutent depuis un moment. Ils me surprennent alors que je cadre un mollah faisant une prière commune sous la tour Azadi. J’ai peur, je suis à peine arrivé en Iran et je vais peut être déjà visiter leurs geôles. Les deux types n’ont pas l’air de prix Nobel et me demandent de les suivre vers un 4×4 noir. J’ai tenté de faire de signes à Julian qui était posé dans l’herbe. Il m’a vu du coin de l’œil et il est parti… Dans leur costards ringards, ces gorilles me prennent pour un espion américain. Pendant 15 bonnes minutes je tente de leur expliquer que je suis un touriste mais mes objectifs énormes et le fait que je n’aie pas de carte de presse m’enlève toute crédibilité, je vais finir en taule.

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Soudain, comme un mirage, à travers la foule j’aperçois les rayures d’un t-shirt qui m’est familié puis, une barbe et ce regard nonchalant accompagné de Julian qui était aller le chercher, HOSSEIN. Il faudra une heure de discussion avec cette équipe de crétins pour se sortir des ennuis. Trois-quatre gaillards dissidents se sont fait enfourner dans le véhicule à coup de matraque à côté de moi mais au final je m’en sors avec deux photos de jeunes filles censurées et de bon rires avec Julian. J’ai tout de même été arrêté par les gardiens de la révolution.

 

11 février 2013

Ce matin nous prenons un certain Marmoud à l’arrêt du bus puis la route vers le nord. Les montagnes, l’improbable ville de Damavand et sa mosquée aux milles miroirs à 2500 mètres d’altitude, la neige. Quand c’est moi qui conduis, je me sens local mais Marmoud, training, pantoufle facile à retirer à la mosquée, bandeau dans les cheveux pour écraser ses sinus encombrés, Marmoud, quelqu’un de la famille sans doute, trouve que je roule dangereusement ce qui me vexe. Dangereusement veut peut-être dire «trop suisse» parce qu’une fois au volant et la musique à fond il nous tire des pointes à 140 kilomètres heure dans les virages. La nuit tombée la sensation de proximité avec la mort s’intensifie. Le triple dépassement sur la bande d’arrêt d’urgence de la voie d’en face avec comme alternative au camion nous faisant des appels de phares, un précipice. Grâce à ces prouesses inconscientes, Davide et Julian demandent à ce que je reprenne le volant sous l’approbation d’Hossein. Nous rencontrons des gens, des amis d’Hossein, la famille…? En fait, nous n’en savons rien. Baignade dans la vaseuse mer Caspienne par temps maussade, nuit glaciale dans les montagnes puis, visite d’une tour près d’un lac. Ils voulaient tous nous emmener là, tous ceux qui se sont joints à nous, une sorte de bande dont nous n’avons jamais su qui ils étaient. Je me questionne encore sur ce nord campagnard sans grand intérêt et pourtant à deux pas du Turkménistan, pas si loin de l’Afghanistan et face à la Russie.

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14 février 2013

Je suis content de redescendre vers le sud. Toute cette étrange équipe n’est plus là et ça n’est pas plus mal, j’ai horreur des groupes. Il n’y a plus Marmoud, enfin je peux conduire à ma façon et la folie d’Hossein nous est à nouveau exclusive. Ce matin encore il brulait des patates dans une cheminée en guise de déjeuner tout en chantant la prière. Au bord de la mer, il me dit que je peux aller dans l’eau avec la voiture. Rien n’est un problème, rien ne le choque. Dans le désert, au lac salé de Kivar, il disparait sans explication mais cela nous permet d’approcher un groupe de jeunes sportifs accompagnés de femmes au cheveux libres. Des anti-systèmes qui, pour être tranquille viennent danser et causer dans le sable. Je suis intimidé. Comme les filles n’ont pas de voile je n’ose pas les approcher, elles ressemblent à celles que je connais en Suisse. Julian n’hésite pas une seconde et leur pose toutes les questions possibles et imaginables tellement il est heureux d’en rencontrer enfin. Je me surprend à être plus à l’aise avec ceux qui respectent le système. Ces filles se comportent à l’occidentale avec ce poil d’arrogance castrateur et les mecs parlent « cool » dans un look « cool »… j’y vois plus une caricature inspirée des U.S.A qu’un réel refus du système.
Quand Hossein réapparait, il est surprit de nous voir parler avec eux mais accepte sans problème un peu de leur barbecue.

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La nuit, sur les autoroutes déroulées comme du papier toilette dans le décor aride, je vois les camions comme des étoiles filantes désorientées, les chauffeurs carburent à l’opium pour résister à la fatigue. Il faut donc les klaxonner pour être vu quand ils se déportent avec leur quarante tonnes pendant nos dépassements. Conduire est enivrant, fatiguant d’autant que tout le monde dort dans la bagnole et je ne connais pas la route. Quand nous arrivons à Kashan au milieu de la nuit, j’aimerais sortir avec les trois autres pour un kebab mais je m’écroule à l’hôtel.

 

15 – 16 – 17 février 2013

Nous vivons dans cette Renault cabossée aux pneus plats. Le sol est maculé de coquilles de pistaches et de boîtes de délicieuses dattes. Avec elle, nous traversons Qom et la mosquée Jamkaran, Kashan et ses villas antiques aux systèmes d’aération défiant tout climatiseur moderne,  Abyaneh ce petite village de montagne très ancien que les Mongols tentèrent d’envahir sans succès il y a quelques siècles, pour arriver à Ispahan un matin devant l’hôtel le plus luxueux d’Iran. Nous ne prendrons qu’un café dans celui-ci mais logeons à celui d’en face pour dix euro les quatre lits dans une suite. Hossein s’arrange toujours pour que rien ne coûte, c’est impossible que tout soit si peu cher. L’inflation n’est-elle pas censée augmenter les prix? Il a des contacts partout, c’est sûr…

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L’eau est quelque part bloquée par l’État dans les montagnes, sous le pont d’Ispahan, le nid du fleuve est sec, on peut le traverser à pied. Un jus de grenade me tourne l’estomac mais la découverte de la gigantesque place Naghsh-e Jahan, son palais et ses mosquées aux bleus de perse et colonnes sculptées me soignent aussitôt. C’est la ville du tapis alors j’ai droit à deux heures d’explications sur les différentes origines et fabrications de ceux-ci par des marchands dans le légendaire bazar. Si il faut rapporter un souvenir Iranien, c’est ici. La saveur de toutes les épices embaume nos cervelles. Avec Julian, on s’imagine ramener en Suisse, par avion, une de ces jarre gigantesque en terre cuite. Dans une étroite ruelle fumeuse un vieux bonhomme qui vend des samovars nous explique qu’il est dans le guide du Routard du pays de 1970… Moi j’aimerais juste un t-shirt avec écrit quelque chose en farci mais il n’y a que du « super-moulant »… beaucoup de jeunes homme sont efféminés dans ce pays. Certains se tiennent la mains, toujours en groupe, jamais de mix garçons et filles. Au restaurant, je savoure mon cent-cinquante-deuxième dough du voyage. De la Turquie au sud de l’Inde, on boit les variantes de cette boisson à base de lait acidulé qu’ici en Iran on mélange aux épices. Pendant ce temps, Julian s’émerveille devant une fille au foulard rouge. Il l’appelle « mon épouse ».
Comme dans beaucoup de ville du pays, si ce n’est pas toutes, il y a un joli centre mais le reste est dégueulasse. Tout à l’air en construction et le trafic est infernal.

 

18 févier 2013

Depuis le début du voyage je scrute et j’adore ces guimbardes locales importées par les anglais dans les années soixante et devenues Paykan, une marque Iranienne. A l’instar de la Lada 1500 cette voiture a le même design depuis sa création. On trouve aussi des Nissan, qui veut dire dragon en farsi, à ne pas confondre avec la marque japonaise, un genre de pick up de très mauvaise qualité puis des Sabia également fabriquées en Iran. A Shiraz ce sont les ruines de Persepolis qui nous intéressent mais surtout comment s’y rendre sans notre voiture qui a besoin d’une pause garage. C’est là qu’Hossein me dévoilera sa plus grande preuve d’amitié. Il demande un taxi, une ancienne Paykan justement, le chauffeur me donne les clés… il a demandé à ce que ce soit moi qui nous conduise.

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19 février 2013

Ne somme nous pas trop loin maintenant? Hossein nous dit qu’on peut aller dans le désert à l’est près du Pakistan ou sur une île en face de l’Arabie Saoudite…
Une route sinueuse nous propose le sud. Nous mangeons en brochette les chèvres qui nous faisaient rire dans l’enclos tout à l’heure. Je suis en train de me demander comment nous allons rentrer chez nous. Nous choisissons Busherher le moins loin pour se baigner dans le Golf Persique. Les flammes dans la nuit accompagnées de l’odeur de mazout nous confirment que nous sommes sur un point stratégique du pays. C’est dans cette région pétrolière que l’on traite aussi le nucléaire tant polémiqué par nos bien-pensants occidentaux. Le soir, nous  fumons la chicha la plus improbable du voyage dans une taverne de la vieille ville tenue par d’étranges gaillards aux regards de malfrat. Dans une pièce paraissant s’écrouler sur elle même, une dizaine de mecs avachis sur des tapis fument en regardant le foot à la télévision. Mal à l’aise nous allons fumer sur la plage.

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21 février 2013

C’est notre dernier jour de voyage. Demain matin nous prenons un avion pour Téhéran. Vingts-cinq Euro c’est le prix du billet que nous dégotent Hossein et ses amis en moins de 10 minutes. A croire qu’ils sont de la mafia. Hossein nous aura surpris du début à la fin entre son j’m’en foutisme absolu et son look. Avons nous réellement vu l’Iran? En tous cas pas celui dépeint par nos médias, c’est sûr. On aurait voulu rencontrer d’autres femmes indépendantes et rester plus longtemps avec les «anti-système». Le chemin du retour par la Turquie nous replonge, grâce aux écrans de l’aéroport, dans la culture médiocre du clip et de l’arrogance dont nous avons été épargnés pendant deux semaines. Court mais intense! Au retour j’ai décoré ma Peugeot à l’Iranienne avec des pendentifs et autres babioles orientales pour garder la tête dans le Bazar d’Ispahan.

Aujourd’hui Hossein vit en ermite dans les montagnes au Nord du pays à la frontière avec l’Azerbaïdjan. J’irais bien le rejoindre un jour pour quelque temps.